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Institut d'Études sur le Droit et la Justice dans les sociétés Arabes

Tribunal spécial pour le Liban : dix ans d’activité pour quel résultat ?

Joël Hubrecht, Responsable du programme Justice pénale internationale et justice transitionnelle de l’Institut des hautes études sur la justice (IHEJ)

Ce texte a été publié une première fois en 2016 dans l’ouvrage dirigé par le Professeur Julian Fernandez (Université Paris2) : Justice pénale internationale, Centre National de la Recherche Scientifique – C.N.R.S. (Collection Biblis)1. Les observations tirées des premières années d’activité du tribunal sont restées pertinentes et ne nécessitent pas une actualisation en profondeur, le Procureur n’ayant achevé que le 7 février 2018 une présentation dont les grands axes étaient déjà connus et la longueur, un motif de notre critique. En quatre ans, l’Accusation aura présenté un peu moins de 300 témoignages (dont la moitié environ sous forme de déclaration écrite et l’autre à l’audience) et quelques 2470 pièces à conviction. Les audiences ayant essentiellement portée sur des rapports d’experts et l’audition de leurs auteurs (en particuliers en 2017, M. Andrew Donaldson et M. Edwar Philipps), sur le positionnement et l’attribution des fameux téléphones, sur les méthodologies et les terminologies utilisées, les médias libanais n’ont pas montré plus d’intérêt qu’il n’en avait eu auparavant, si ce n’est, temporairement, à l’occasion de la présentation de la cause des victimes entre le 28 août et le 8 septembre 2017. Durant ces deux semaines, des blessés rescapés, et les enfants, épouses ou proche-parent des victimes de l’attentat sont venus à La Haye expliquer le poids de leurs séquelles et de leurs souffrances et demander justice et réparations. La prochaine étape attendue en 2018 sera constituée par la procédure tirée du droit anglo-saxon (utilisée notamment au TPIY et plus récemment à la CPI ) : le « No case to Answer », c’est-à-dire l’examen en vue de constater la suffisance ou non des preuves présentées par le procureur, à l’issue duquel les juges pourront rendre un acquittement pour tout ou partie des chefs d’accusation dont ils estimeront qu’il n’y a pas d’élément suffisants pour justifier de la présentation de moyens à décharge. Pour les charges suffisamment étayées, si la défense entend, au-delà des contre-interrogatoires qu’elle a déjà menés, présenter ses témoins et ses propres moyens de défense, ce qui en l’absence des accusés pour déterminer une stratégie n’est pas certain, la phase de présentation à décharge pourrait elle aussi, à son tour, potentiellement durer plusieurs années. La création d’un Bureau de la défense a été une des innovations utiles et substantielles que nous avons défendue dans l’article de 2016. Le départ précipité fin février 2018 – pour une question d’âge que l’on n’a pourtant pas toujours appliqué avec autant de rigueur aux autres magistrats et acteurs de ce type de juridictions – de son directeur François Roux, qui avait conduit ce bureau durant 9 années, soulève aussi des questions sur l’organisation à venir de la défense.

Le mandat du Tribunal a été prolongé pour trois ans (jusqu’en mars 2021). Cette prolongation, au-delà de la seule affaire Hariri, pourrait aussi se justifier par l’ouverture d’une ou d’autres affaires sur des attentats ciblés connexes (c’est-à-dire pouvant être reliés) à l’attentat de 2005, affaires également déjà évoquées, en 2016, dans notre article. Le 21 juillet 2017, un acte d’accusation confidentiel a été déposé par le procureur devant le juge de la mise en état qui a, quatre semaines plus tard, saisit la chambre d’appel sur une quinzaines de points (liées au crime d’association de malfaiteurs et des critères d’examen de l’acte d’accusation). Cette dernière a rendu un arrêt en octobre. L’acte d’accusation est donc entre les mains du Juge de la mise en état qui a désormais les éléments pour trancher mais pas de délais prévus dans le RPP pour le faire. L’affaire dite STL 17-07 pourrait donc constituer la prochaine affaire. Si tel est le cas, on peut supposer qu’elle concernera l’assassinat de l’ex-chef du parti communiste, George Hawi, assassiné le 21 juin 2005 ou les tentatives d’assassinat contre l’ancien ministre de l’économie et l’ex Vice-premier ministre. Mais on peut craindre que la reddition ou l’arrestation des suspects ne soient, une nouvelle fois, pas facile à obtenir. Le contexte libanais, très fortement impacté par la guerre en Syrie, reste très tendu et instable.

Joël Hubrecht – mars 2018

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Tribunal spécial pour le Liban : dix ans d’activité pour quel résultat ?

L’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri a été tué à Beyrouth dans un attentat à la camionnette piégée le 14 février 2005. Cette communication s’inscrit donc, à quelques jours près, onze ans après cet attentat, dix ans après que le Conseil de sécurité ait mandaté le Secrétaire général pour la négociation d’un accord avec le Gouvernement libanais sur la création d’un tribunal international et sept ans après son inauguration. Or le Tribunal spécial pour le Liban (TSL) est à beaucoup d’égard, en termes de mandat et de fonctionnement, sinon une sorte d’ovni du moins une expérience pionnière dans le paysage des tribunaux internationalisés. Sans chercher à dresser un bilan définitif d’une action toujours en cours, plusieurs considérations importantes peuvent être tirées de l’état actuel de ses travaux. Nous reviendrons au préalable sur les conditions improbables de sa création et de son statut si particulier puisque, bien que l’environnement géopolitique ait considérablement changé depuis, celles-ci continuent de nourrir des histoires distinctes de cette juridiction et d’influer sur sa perception.

 

I Une naissance laborieuse dans un environnement qui demeure instable

Ce n’est pas un tribunal mais une commission d’enquête internationale (UNIIIC, résolution 1595) que le Conseil de sécurité met d’abord en place. Il envisage alors une enquête avec les autorités nationales et des poursuites portées devant un tribunal libanais. Le pays est secoué par l’onde de choc et la « révolution du cèdre » : une vague de manifestations populaires exige la vérité sur le meurtre de Hariri et le départ des troupes syriennes. Il s’en suit le retrait de l’armée syrienne, la victoire électorale de l’Alliance du 14 Mars, la nomination d’un nouveau premier ministre Fouad Siniora, proche de Hariri et opposant du président Emile Lahoud, allié de Damas, en place depuis 1998. En dépit du changement de majorité, Siniora forme un gouvernement regroupant un large spectre des courants politiques, y compris pour la première fois le Hezbollah.

Le 13 décembre 2005, à la suite d’autres attentats, Siniora adresse une lettre à l’ONU demandant la création d’un tribunal international. En réaction, six ministres « pro-syriens » démissionnent, ouvrant une nouvelle crise politique. Le 19 mars 2006, le Conseil de sécurité mandate le Secrétaire général pour négocier un accord avec le gouvernement libanais. En marge d’une tentative avortée de dialogue national (mars-juin 2006), de la guerre de 33 jours de l’été 2006 qui vit l’échec des bombardements israéliens et la « victoire divine » d’un Hezbollah, pompier-pyromane au sommet de sa popularité, les pourparlers se poursuivent et débouchent sur un projet d’accord. En novembre, alors même qu’un nouvel attentat emporte le député et ministre de l’industrie Pierre Gemayel, le projet est entériné par le Conseil de sécurité et renvoyé au Liban pour ratification. Malgré une majorité parlementaire favorable, le processus est bloqué par l’opposition du président Lahoud et du président de la chambre des députés. C’est donc le Conseil de sécurité qui en votant la résolution 1757 sous chapitre VII (menace contre la paix et la sécurité internationale) permet la mise en œuvre de l’accord et lui donne son fondement légal : « Péché originel » ou « Fiat miraculeux » ? La configuration est inédite, à mi-chemin entre la voie conventionnelle du Tribunal spécial pour la Sierra-Leone et le pouvoir législatif du Conseil de sécurité qui créa le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie2.

Le TSL n’a pas été l’étincelle qui remettrait le feu aux poudres, comme certains le craignaient ou le prédisaient mais il a été autant secoué par ce climat de crise qu’il n’y a participé. Ce n’est pas un tribunal œuvrant en pleine guerre, comme le TPIY et la CPI, ni un tribunal de post-conflit comme le TPIR ou les CETC, mais un tribunal né et agissant encore aujourd’hui sur fond de crise permanent. La guerre « n’est pas terminée » dans les têtes. Depuis 2005, il y a eu des attentats, des incursions militaires, une confrontation armée avec un groupe jihadiste, des crises sociales et institutionnelles, un flot de réfugiés et les retombés de la guerre en Syrie. Ajoutons les crises de la présidence, au moment de la succession du président Lahoud en 2007 puis de son successeur Michel Sleiman en 2014, dont le siège est vacant depuis presque deux ans3. Il est vrai que s’il y a un pays qui apparait depuis longtemps au bord du gouffre, sans toutefois y rebasculer, c’est bien le Liban, sans que l’on sache bien s’il s’agit d’une capacité de résilience temporaire ou durable, miraculeuse ou trompeuse.

 

II Un statut et un Règlement de Procédure et de Preuve innovants mais un Mémorandum oublié

Du fait de ce climat, le TSL est, contrairement à un grand nombre de tribunaux hybrides, délocalisé à l’extérieur du pays. Cela le préserve mais cela l’isole également. Le tribunal espère minimiser cet éloignement grâce à la vice-présidence du juge Ralph Riachi4, à la présence des autres juges libanais parmi les 11 juges, certes en majorité internationaux, et à la familiarité de ses procédures. En effet, le tribunal s’inspire du code pénal libanais même s’il ne reprend pas toutes les dispositions, comme la peine de mort, ou interprète la définition du terrorisme de façon moins restrictive que la jurisprudence libanaise5. De plus, pour la première fois, un TPI ad-hoc n’est pas construit autour de la triade classique des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide.

Autre originalité, peut-être la plus convaincante : un Bureau de la défense, qui ne représente pas directement les accusés mais assiste leurs avocats. Outre la constitution d’une liste et la nomination d’avocats d’office si nécessaire, le Bureau assure une mission de formation, de conseil juridique, de gestion de l’aide juridictionnelle et de facilitation de la coopération avec les Etats (il a ainsi passé un protocole d’accord avec le gouvernement libanais). En constituant un organe indépendant, semblable au Bureau du Procureur, même si ses moyens ne sont pas identiques, il permet d’améliorer la perception de l’impartialité du tribunal dans une société qui reste très clivée et partagée vis-à-vis de sa légitimité. En donnant à la défense des prérogatives et une voix qui ne se rattachent pas directement à une affaire sans avoir pour autant à afficher la neutralité d’un greffe, ce Bureau a pu apporter une dimension qui jusque-là manquait cruellement à la justice pénale internationale. Espérons que cette innovation fasse école et soit reprise à l’avenir.

Un autre legs pourrait résider dans son règlement de preuve et de procédure (RPP) dont le TSL n’a pas encore, lui-même, tiré tout le potentiel. Le premier président du tribunal, Antonio Cassèse lui a consacré un mémorandum. Ses commentaires, sans revêtir un statut officiel puisqu’ils n’ont pas été adoptés par les juges, représentent le point de vue d’un magistrat dont il n’est pas nécessaire de rappeler ici le prestige, tant il fut grand. Or ce mémorandum est un vibrant plaidoyer pour une meilleure association des modèles procéduraux de common law et de droit civile, dont nous savons tous que le premier a imprégné à l’origine presqu’en intégralité les procédures des tribunaux pénaux internationaux pour seulement progressivement s’ouvrir à d’autres modalités. Comme le TSL s’inspire du droit libanais, sa procédure a accentué cette intégration du système inquisitoire en prévoyant :

  • Un juge de la mise en état autonome6
  • La participation des victimes à la procédure
  • La possibilité de tenir des procès par défaut
  • Le versement au dossier d’éléments de preuves écrits
  • L’interrogatoire des témoins par les juges en premier

Les preuves sont toujours rassemblées par les deux parties au procès, le juge de la mise en état n’a pas les pouvoirs d’un magistrat instructeur, les victimes ne peuvent se constituer partie civiles7 ni demander réparation ; mais si la procédure du TSL est loin d’échapper complètement au cadre accusatoire, l’hybridité des modèles est plus poussée.

Pour Antonio Cassèse, ce rééquilibrage relève « incontestablement d’une évolution positive car les spécificités et la vocation même de la justice pénale internationale appellent une approche plus inquisitoire (ou moins accusatoire) : en effet, l’engagement de poursuites et la sanction de crimes internationaux ne mettent pas simplement en jeu deux parties adverses ; ils procèdent de la notion de justice au service de l’intérêt public et engagent la communauté internationale tout entière (s’il en était autrement, pourquoi l’ONU devrait-elle intervenir et créer des tribunaux internationaux ou des tribunaux mixtes ? En outre, tandis que le modèle accusatoire tend incontestablement à mieux protéger les droits des parties à la procédure, le modèle inquisitoire présente l’avantage distinct d’être plus rapide pendant la phase du procès. »8 Cette nécessité d’arriver à des procédures « moins longues, moins lourdes et moins coûteuses » est en effet un défi majeur qui continue de se poser à la justice pénale internationale (rappelons-nous, qu’à son ouverture, des juges de la CPI espéraient pouvoir traiter les affaires en moins de deux ans !).

La salle d’audience porte le nom de Cassèse (décédé en novembre 2011). En dépit de cet hommage, force est de constater que le déroulement des procédures trahit ou s’éloigne fortement de l’esprit du code tel que Cassèse l’avait décrit. Le 7ème rapport annuel, portant sur la période du 1er mars 2015 au 28 février 2016, vient d’être présenté au Secrétaire général des Nations Unies et au Gouvernement libanais. Comme les années précédentes, chaque organe débute la présentation de ses activités en affirmant qu’elles se poursuivent avec diligence. Dans le 6ème rapport, le Bureau du procureur indique ainsi qu’il « a toujours veillé à utiliser de façon optimale le temps d’audience imparti (…) réduisant ainsi considérablement le temps nécessaire à l’exposé de sa cause », propos quelque peu contredit lorsqu’il avertit que l’exposé des moyens à charge, commencés en janvier 2014, « devrait se prolonger jusqu’à la fin 2015 » et qu’il est « difficile d’établir un calendrier », « divers éléments […] échappant à la volonté du Bureau du procureur ».

La conduite du procès échappe aussi à la fermeté des juges. En effet, ces derniers ont renoncé à la possibilité que le RPP leur laisse d’interroger en premier les témoins. Reprenant le mode accusatoire, la chambre laisse cette prérogative à la partie qui les appelle avant de donner son tour à la partie adverse. Malgré la réduction du nombre de témoins, de 500 à 400, et du nombre de pièces à conviction, de 13 000 à 7 000, on reste dans la fourchette moyenne des autres tribunaux pénaux internationaux en nombre de témoins appelés, en volume de pièces versées et en temps d’audition : l’accusation prévoyait d’appeler 167 témoins en audience et de terminer en décembre 2015 sa présentation mais, au gré d’interminables interrogatoires et contre-interrogatoires, elle n’aura finalement auditionné que 101 témoins à la date du 11 janvier 2016 (soit une cinquantaine par année) et ne présentera le troisième volet de sa thèse que cette année. Conjointement des dizaines de milliers de pages auront été versées au dossier, et 1 050 pièces à conviction admises comme preuve : examen nécessaire et pertinent ou exercice « chronophage et budgétivore » à l’utilité douteuse ? Faut-il voir dans l’inflation des chiffres la preuve d’un rythme de travail soutenu ou le symptôme de la mauvaise maitrise des dossiers ? En tous les cas, et à tout le moins, du calendrier !

Il ne s’agit pas d’asséner des critiques péremptoires et désobligeantes sur la conduite d’une affaire complexe contre 5 accusés mais force est de constater qu’avec un procès en première instance qui devrait, si la défense utilise l’intégralité du temps qui lui est allouée, s’étaler sur au moins quatre années, on n’a pas su tirer les bénéfices que l’on pouvait attendre d’une approche moins accusatoire. Sans être identique, la situation au TSL rappelle ce qui s’est passé avec les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC), elles aussi fortement imprégnées des modalités du système inquisitoire (en usage dans la justice cambodgienne) mais finalement parasitées par des dynamiques et des stratégies contradictoires, procureur et avocats, formés à la common law, multipliant les demandes et engorgeant une procédure qui était censée avoir fait le tri en amont, lors de l’instruction. Pour autant, il n’y a pas de raison de penser que les deux modèles soient incompatibles. La bonne manière de les associer, entrevue par Antonio Cassese dans son Mémoire, reste cependant encore à mettre en œuvre concrètement. Peut-être que la performance du tribunal spécial du Sénégal, avec des auditions conduites en quatre mois, contribuera à faire comprendre l’intérêt d’aller dans cette direction.

 

III Un procès technique, sans accusés et plus long que prévu

L’importante disparité des juridictions internationalisées ne permet pas d’avoir un étalon en matière de nombre de procès à tenir : très limité au Cambodge et en Sierra-Leone (avec moins d’une dizaine de procès), plus nombreux au Timor Leste (une cinquantaine) et au TPIY (une centaine). Le Tribunal spécial pour le Liban, avec à ce jour un seul procès lié à son mandat principal, sera-t-il le plus restrictif ?

Sa tâche est cependant tout sauf simple car l’attentat du 14 février est le fait d’une organisation suffisamment puissante pour avoir pu contrer les extraordinaires mesures de protection dont bénéficiait Rafic Hariri : voiture blindée, surveillance par satellite, itinéraire secret, convois de diversion, etc. Pour certains, poser la question « à qui profite le crime ? » c’est se tourner vers Damas, pour d’autres, vers Washington. La famille Hariri a immédiatement accusé la Syrie ; le chef du Hezbollah a prétendu avoir les preuves démasquant Israël alors que sont aussi pointé du doigt l’Iran, la France et l’Allemagne. L’attentat avait été revendiqué en soutien aux « moudjahidines » d’Arabie Saoudite par le groupe « Victoire et Jihad en Grande Syrie ». Il s’est vite avéré qu’il s’agissait d’un leurre créé pour brouiller les pistes. Face à cette confusion organisée, une clarification judiciaire est d’autant plus crucial.

Pour l’instant la piste ouverte par le TSL est intérieure. Elle concerne cinq ressortissants libanais, accusés conjointement dans le cadre de l’affaire dite « Ayyash et autres ».

 

  1. Affaire Ayyash et autres

Si l’affaire porte le nom Ayyash c’est par ordre alphabétique mais selon l’accusation c’est un autre co-accusé, Moustafa Badreddine, qui occupait le sommet de la hiérarchie.

Cet acte d’accusation diffère des premières conclusions de la commission d’enquête internationale. Dans son premier rapport du 20 octobre 2005, le procureur Detlev Mehlis y visait le chef de la garde présidentielle, Moustapha Hamdane, ainsi que l’ancien chef de la sûreté générale, l’ancien directeur des forces de sécurité intérieures, le chef des services de renseignement de l’armée. C’était donc une connexion entre des hauts-responsables syriens et libanais qui était mise sur la sellette. En septembre 2005, les quatre suspects sont arrêtés puis relâchés après les rétractations de plusieurs témoins clés. Le nouveau procureur Serge Brammertz réoriente l’enquête et aboutit à d’autres conclusions9 qu’il transmet au Bureau du procureur du TSL en février 2009.

Il faudra attendre deux années de plus pour voir les premiers actes d’accusation transmis au greffe du TSL (le 17 janvier 2011). Les quatre nouveaux suspects sont de moindre stature que les précédents, même si l’un est présenté comme « un commandant militaire de haut rang ». Il s’agit de Moustafa Badreddine, Salim Ayyash, Assad Sabra et Hussein Anaissi (ou Oneissi). Un cinquième suspects, Hassan Habib Merhi, sera inculpé en octobre 2013. Bien que la presse les présente comme le « bras armés du Hezbollah », le Tribunal a toujours pris garde de les dissocier du mouvement chiite en rappelant que le Hezbollah, en tant que mouvement, ne fait pas l’objet de ses accusations. Sans être décrits comme des membres «indisciplinés», la nature de leurs liens avec le « parti de Dieu » est, jusqu’à ce jour, recouverte d’un voile pudique. Depuis juin 2011, le Hezbollah et ses alliés dominent le gouvernement. Il serait contre-productif d’exacerber les tensions alors que le pouvoir libanais a jusqu’à présent renouvelé son appui au TSL ou continue de le « tolérer ». Par contre, ces autorités n’ont pas été en mesure ou n’ont pas eu la volonté réelle d’appréhender les suspects. Leur procès s’est donc ouvert en leur absence en janvier 2014. Dans sa décision du 1er février 2012, soit 7 mois après la transmission des mandats d’arrêt aux autorités libanaises, la chambre a estimé réunies les trois conditions requises de l’art. 2210 : l’accusé a renoncé à son droit d’être présent ; il est en fuite ou introuvable ; il n’a pas été remis au Tribunal.

Lors des déclarations liminaires du 16 janvier 2014, l’impression de vide qu’aurait pu laisser l’absence des accusés a été largement comblée par la présence des 12 avocats commis d’office et des membres du Bureau de la défense11. Les victimes « participantes » étaient quant à elles représentées par leurs avocats. Il faudra attendre la décision orale du 18 novembre 2014 pour qu’elles aient le droit d’être présentes dans la salle d’audience. Le dépaysement provoqué par la délocalisation du tribunal était compensé par la reproduction des rues de l’attentat sous la forme d’une maquette géante dressée au milieu de la salle d’audience. En présentant à l’ouverture, le 22 janvier, le portrait des 22 victimes de l’explosion, l’accusation12 démontre un certain talent de la mise en scène, pas forcément inutile – mais pas forcément suffisant non plus – face à la technicité de sa démonstration. Celle-ci entend remonter de l’attentat vers sa préparation et enfin vers l’identification des auteurs. Le rôle des accusés est décrypté à partir des portables qu’ils ont utilisés (Badraddine en utilisa 13, Ayyash 11, les réseaux13 fonctionnaient en circuit fermé, avec des identités erronées comme camouflage). La première phase était consacrée aux victimes et à l’examen de la scène de crimes. Elle a été suivie par la présentation des preuves dites « politiques ». L’accusation s’est ensuite focalisée sur les preuves relatives aux données de télécommunications qui constituent le cœur du dossier à charge.

La défense n’a toujours pas débuté sa présentation. Elle s’annonce difficile : sans instructions des accusés, devant assurer une défense dans le cadre d’un procès par défaut mais qui reste conduit essentiellement sur un mode accusatoire. L’avocat d’Oneissi avait d’ailleurs lancé un vibrant appel aux juges : « la défense demande à la chambre de s’impliquer pour ne pas laisser le procureur comme seul acteur du procès ». Mais généralement les interventions du président Re se limitent à demander aux parties plus de rigueur dans leurs questions. La stratégie de la défense se limitera-t-elle à la conduite des contre-interrogatoires et aux plaidoiries ou présentera-t-elle des témoins, voire une thèse alternative montrant que le doute subsiste sur la pertinence du scénario décrit par l’accusation ? Pour l’instant, elle a déjà déposé un grand nombre de requête, y compris pour contester la légalité du tribunal. Les avocats sont soutenus par le Bureau de la défense, qui n’intervient pas dans les questions de fait et a dû trouver ses marques par rapports à la chambre. Sa première grande bataille concerna la jonction de l’affaire Merhi, moins sur le principe que sur la manière dont elle s’est faite. Mais le rôle crucial du Bureau se joue sans doute autant au Liban, où il dispose d’une antenne, que dans le prétoire. La collaboration avec les autorités libanaises est en effet cruciale pour permettre les enquêtes à décharge.

Dix victimes étaient présentes le jour d’ouverture du procès, dont le fils de Rafic Hariri. Elles sont aujourd’hui 72 à avoir obtenu le statut de victimes participantes. Le juge de la mise en état a rejeté les participations qui se feraient de façon (totalement) anonyme. Contrairement au Cambodge (CECT) et au Sénégal (procès Habré), les victimes ne sont pas réellement des parties civiles mais des « participants à la procédure », exprimant leurs « vues et préoccupations » et demeurant très encadrés par les juges de la mise en Etat et de première instance. L’annonce par le Hezbollah, le 13 mai 2016, de la mort du principal accusé, à ce jour, de l’attentat, le commandant Moustapha Bedreddine tombé « en martyr » en Syrie dans une explosion près de l’aéroport de Damas, amoindrit encore un peu plus la portée finale du procès en cours, même si le rôle du défunt, au-delà des poursuites qui se ferment avec son décès, est reconstitué dans le dossier de l’accusation.

 

  1. Les deux affaires connexes d’outrage

Le procureur a demandé des mesures de protection pour une quarantaine de témoins, dont la comparution sous pseudonyme, avec altération de la voix et de l’image. Rappelons qu’une condamnation ne peut se fonder uniquement ou principalement sur la déclaration d’un témoin anonyme (art. 159 du RPP), et que l’anonymat est essentiellement à destination du public et non de la partie adverse. Rappelons aussi que, si ce type de mesure pose un vrai problème pour la publicité des débats, les cas d’intimidation et de subordination n’ont rien d’un fantasme : en octobre 2010, deux enquêteurs étaient agressés et dépouillés de leurs ordinateurs contenant des vidéos d’interrogatoire qui seront ensuite diffusées sur le net. Au printemps 2013, c’est cette fois une liste de 200 témoins potentiels qui se retrouvent sur la toile. L’enquêteur amicus curiae du TSL a retenu deux affaires.

A la différence des affaires d’outrages conduites devant les autres TPI, cette fois, en plus du journaliste, la société mère est également poursuivie en tant que personne morale. Cette décision a fait l’objet d’une rude bataille juridique sur la portée du terme « personne » de l’article 60bis. Le 24 juillet 2014, une décision donna même raison à l’exception préjudicielle d’incompétence soulevée par la défense, ordonnant un retrait des charges qui sera à son tour invalidé, le 2 octobre, par un collège d’appel (comptant une opinion dissidente) rétablissant les poursuites contre les deux médias. Pour les juges, c’est le seul moyen de toucher les « responsables véritables et les plus puissants ». Il s’agit cependant ici des responsables de la publication car les auteurs des fuites n’ont pas été retrouvés.

Que restera-t-il de ce « coup de filet » juridique ? M. Al Amin du journal Al Akhbar et la société Akhbar Beirut SAL attendent le jugement (leur procès s’est tenu entre février et avril 2016) tandis que, au terme du premier procès, la journaliste Al Khayat et la société New TV SAL ont été acquittés. Soutenue par une partie de la presse francophone (l’Orient le Jour, Paris Match), Karma Al Khayat s’était adressée au juge en proclamant : « la force est avec vous mais le droit est avec nous, ainsi que l’opinion publique » ! Le public ne tient pas le marteau mais, en pointant cette possible fracture, la journaliste soulève une des craintes du TSL : celle de voir son action et ses décisions incomprises ou instrumentalisées.

 

IV Une lutte contre l’impunité qui lutte d’abord contre l’indifférence

Hormis le retentissement de l’ouverture du procès, qui a fait se déplacer une centaine de journalistes, les conditions sont loin d’être idéales pour assurer l’intérêt continu du public et des médias. Non seulement le procès se déroule en l’absence des accusés mais le dossier de preuve, comme souvent en matière de terrorisme, est d’une technicité redoutable. Outre l’analyse minutieuse de la scène du crime, du type d’explosif utilisé, l’identification des véhicules (dont la Mitsubishi du kamikaze), c’est surtout le décryptage des communications téléphoniques, sur lequel repose tout le dossier, qui a nécessité le traitement informatique des échanges passés entre les accusés, l’élaboration d’une base de données et d’un système électronique de présentation des preuves14. Evidemment nul ne reprochera à l’accusation de monter son dossier à l’attention de juges professionnels, habitués à de telles exigences, plutôt qu’à celle des médias. Reste la difficulté à concilier ce type de procès avec la volonté de donner aux travaux du tribunal une résonnance maximale. Du coup, il n’est pas surprenant que, comparativement au faible écho qu’ont eu les témoins experts en criminalistique ou en informatique, la comparution de plusieurs personnalités politiques de premier plan, comme l’ancien ministre Marwan Hamadeh, qui a lui-même échappé le 1er octobre 2004 à une tentative d’assassinat sur laquelle le procureur enquête, puis celle du président du Parti socialiste progressiste Walid Jumblatt et d’Ali Mohamed Hamede, ait fait le buzz. Il est certes nécessaire que l’assassinat d’un ancien premier ministre soit replacé dans son contexte politique, en l’espèce l’adoption de la résolution 1559 et le passage à l’opposition de Hariri. Le risque est d’encourager en contre-partie les interprétations politisées du procès et d’en donner une vision erronée puisque ces dépositions ne concernaient pas directement les accusés mais visaient à donner une description générale de la situation au Liban et des relations de Hariri avec ses homologues libanais et syriens. M. Jumblatt fut même interrogé sur l’assassinat de son père en 1977 (Kamal Joumblatt, chef du Front national) pour faire le parallèle avec celui de Hariri15.

Malgré ces éclairages plus politiques, le procès n’est pas devenu ce moment cathartique ou cette scène de distanciation où une société tente, pour reprendre l’expression de Mark Osiel, de « faire en public la mémoire publique »16. Le nombre de politiques libanais assassinés est terrifiant : le Premier ministre Kamaré, les présidents Gemayel et Mouawad, etc. Le nombre de victimes et de disparus des guerres de 1975-1990 l’est encore davantage. Or, comme l’a parfaitement décrit Franck Mermier17, la mémoire de la guerre au Liban est prise dans un piège à double tranchant, entre l’occultation officielle symbolisée par la loi d’amnistie du 26 août 1991 et une présence à vif entretenue par le retour récurrent de la violence. Cette configuration schizophrénique entretient la fragmention de la mémoire collective et la transmission intergénérationnelle des traumatismes, la frustration du tabou national et la crainte de rouvrir la boite de Pandore18.

Les écrivains des années 80/90 ont su renouveler la littérature libanaise par leurs oeuvres sur la guerre. La justice n’avait joué, jusque-là, pratiquement aucun rôle19. Il serait abusif de faire peser sur les épaules des juges du TSL le poids de tous les espoirs que cette première entrée en scène de la justice ne peut manquer de susciter. Ils ne pourront pas tout faire. Néanmoins, il serait aussi faux de croire que ces juges, parce qu’ils écriraient leurs décisions sur une « page blanche », auront fait avancer la cause de la justice quel que soit le résultat final. Le pays n’est d’ailleurs pas un désert judiciaire. C’est, en dépit de son instabilité, un Etat de droit qui peut même se prévaloir d’une riche tradition juridique. Le TSL peut certes contribuer à renforcer cette culture juridique avec des activités de formation ou des séminaires internationaux auxquels magistrats et universitaires sont invités. Pour le juge Afif Chamseddine20, le TSL va nourrir le débat grâce à ses interprétations du code libanais qui parfois divergent de la jurisprudence nationale. Des « bonnes pratiques » pourraient être adoptées comme la constitution par chaque juge d’un dossier qui lui est propre, alors qu’au Liban l’usage d’un seul dossier, que s’échangent les juges entre eux, retarde la procédure.

L’enjeu le plus crucial est cependant ailleurs : il réside dans le potentiel effet d’amorçage du TSL. De ce point de vue, les attentes dépassent le seul cadre du jugement de l’attentat de 2005. Une lumière crue est jetée sur le recours à la voiture piégée, une pratique courante dès les années 80, encore célébrée trente ans après lors du « Jour des martyrs »21 ? Par rapport à cette longue impunité des crimes de guerre et de la violence politique, un verdict dans l’affaire Hariri constituerait effectivement un précédent historique, même si la justice libanaise a déjà eu à traiter d’affaires de terrorisme. Ce sera toutefois insuffisant pour élargir cette première brèche s’il n’est pas accompagné de mesures complémentaires. Or, à ce jour, le TSL n’a pas impulsé de dynamique et son action reste isolée. Ce n’est pas entièrement de sa faute puisque le contexte politique, très troublé, est peu propice à la réception et au relais de son action. De plus une condamnation par défaut ne peut constituer un dénouement entièrement satisfaisant. La liberté dont jouissent les fugitifs nargue les institutions judiciaires et rappelle leur impuissance. D’autant plus si le procès laisse le sentiment que les véritables commanditaires n’ont pas été inquiétés. Le TSL fait un pas de plus vers la justice, et ce pas gagné est précieux, mais sans être en mesure d’assurer l’accomplissement de celle-ci. Or l’avenir n’est pas assuré. Le temps peut certes sembler jouer contre des fugitifs qui finiront peut-être tôt ou tard par être arrêtés ; il peut aussi devenir dommageable pour une institution qui en viendrait à confondre stabilité et persévérance avec enlisement et ossification.

 

V Conclusion : perspectives ouvertes et legs incertain

Même si le procès Ayyash correspond à la mission principale du tribunal, on a peine à imaginer que ses portes puissent se fermer avec pour seul acquis un jugement par défaut. Le Procureur avance aujourd’hui l’hypothèse d’autres dossiers concernant des attentats ciblés commis entre octobre 200422 et décembre 2005 (il y en aurait 14 mais seul trois ont été rattachés à celui du 14 février dont deux sont des tentatives d’assassinat23). On ne peut non plus exclure que d’autres responsables puissent être mis en cause dans l’affaire Hariri. Enfin, même si la procédure est plus complexe, dans le cas d’un nouvel attentat majeur, on ne peut écarter totalement l’hypothèse d’affaires postérieures au 12 décembre 2005, possibles avec l’accord de l’ONU, du Liban, et du Conseil de sécurité. Rappelons enfin que les accusés du procès Ayyash conservent, outre le droit de se présenter une fois le procès commencé, celui de demander l’ouverture d’un nouveau procès après la conclusion de la procédure par défaut.

Avant même que son premier procès ne soit entrée dans la phase des présentations à décharge, le tribunal a déjà dû faire l’objet d’une prolongation de 3 ans de son mandat. Si on ne peut pas assimiler la prolongation du mandat au dépassement du temps imparti pour remplir sa mission – il faut plutôt le voir comme une mesure régulière de contrôle et de reconduite -, elle n’est pas non plus une simple formalité et rien ne permet d’assurer que TSL bénéficiera automatiquement d’une longue série de prolongation et d’un soutien budgétaire suffisant24. Etant donné les caractéristiques du TSL, le transfert des enquêtes en cours et des dossiers à une juridiction nationale est apriori bien plus facile que ne l’était, par exemple, le passage du flambeau du TPIY vers la Bosnie (pour laquelle il a fallu crée une juridiction internationalisée intermédiaire). Pourtant, même si le nombre d’assassinats politiques a diminué sensiblement, l’environnement instable qui avait conduit à la création du TSL et à sa délocalisation perdure. Va-t-il s’apaiser dans les prochaines années ? Rien n’est moins sûr.

Expérience judiciaire novatrice, le TSL peut d’ores-et-déjà faire valoir l’apport positif de certaine de ses innovations, comme le Bureau de la défense. Mais l’avenir de cette juridiction est aussi ouvert qu’incertain, plus sans doute que ne l’était, par exemple, celui du TPIY ou du TPIR lorsqu’en 2003, après une décennie d’activité, le Conseil de sécurité leur imposa une « stratégie de sortie ». Le TSL a également commencé à élaborer sa « stratégie de préservation d’héritage ». Car la question n’est pas tant de savoir s’il sera en mesure d’ouvrir d’autres procès et de s’inscrire dans une durée juridictionnelle plus ou moins longue, que de savoir s’il parviendra à faire en sorte que son impact juridique, politique et sociale soit durable. Le cèdre du Liban a pour particularité remarquable d’être rare mais très résistant (il en existe même encore deux spécimens d’âge trimillénaire). Sur son drapeau, le TSL en arbore la silhouette qu’il réunit – à vrai dire sans grande originalité – avec la balance de justice et le laurier de la victoire. La justice apportée par le TSL restera-t-elle juste de portée symbolique et éphémère ou sera-t-elle à la hauteur de ce beau symbole dans lequel le pays tout entier se reconnait ? Sept ans après son ouverture, le doute s’installe et la question reste posée.

 

 
1 https://www.lgdj.fr/justice-penale-internationale-9782271093493.html
2 Voir LAMBERT-ABDELGAWAD Elisabeth, « Quelques brèves réflexions sur les actes créateurs des TPI », in ASCENSIO Hervé, LAMBERT-ABDELGAWAD Elisabeth et SOREL Jean-Marc, Les juridictions pénales internationalisées, Société de législation comparée, 2006.
3 Entre mai 2014 et février 2016, 35 tentatives d’élection ont été bloquée par défaut de quorum.
4 Il a eu de hautes-fonctions au Liban à la Cour d’appel du Mont Liban et à la cour de cassation, et il a siégé au TPIY.
5 En s’appuyant sur les conventions internationales (convention des pays arabes) ratifiées par le pays, le TSL décide de ne pas se limiter aux moyens spécifiquement énumérés dans le Code pénal – qui ne retient pas, par exemple, les attaques aux fusils. Pour la définition de la Complicité, qui est un mode de responsabilité avancé pour trois des accusés, le droit international diffère du droit libanais sur deux éléments (il liste les moyens objectifs de l’aide et nécessite connaissance du crime et intention de le commettre). Les juges ont décidé d’appliquer le concept libanais « en ce qu’il assure une meilleure protection des droits de l’accusé. ». Voir la Décision préjudicielle sur le droit applicable, rendue le 16 février 2011 par la chambre d’appel.
6 Il représente un organe neutre, distinct de la chambre de première instance, étudiant les actes d’accusation et pouvant réduire ou requalifier les charges, préparant le procès ainsi qu’un dossier, à l’attention de la chambre de première instance, exposant les points de désaccords entre les parties et indiquant son point de vue.
7 Sélectionnées par le juge de la mise en état, elles ne peuvent ni déclencher une procédure pénale, ni y participer au même titre que le procureur et la défense, ni témoigner (sauf autorisation de la Chambre), ni demander réparation, ni interjeter appel d’un jugement. Elles peuvent cependant faire valoir leurs « vues et préoccupations » aux différents stades de la procédure (art.17), après la clôture des enquêtes, ont accès aux documents, peuvent solliciter l’autorisation de citer des témoins et celle de procéder à des interrogatoires ou contre-interrogatoires.
8 Mémoire explicatif par le président du tribunal, RPP en date du 25 novembre 2010. Document disponible sur le site du TSL.
9Voir le huitième rapport, juillet 2007 et les rapports suivants disponibles sur le site du TSL (http://www.stl-tsl.org/fr/documents/un-documents/reports-of-the-uniiic ).
10 Sur le procès par défaut devant le TSL voir les pages que lui consacrent UNAC Héleyn et RAFFRAY Michel dans « Les normes applicables au Tribunal spécial pour le Liban et sa jurisprudence » in MASSIAS Jean-Pierre, PHILIPPE Xavier et PLAS Pascal (sous la dir), Annuaire de justice pénale internationale et transitionnelle 2014, Institut universitaire Varenne, 2015.
11 Le Bureau de la défense est conduit par l’avocat français François Roux. Voir ROUX François, La voix de la défense (entretien), mai 2016, Institut des hautes études sur la justice (disponible sur www.ihej.org).
12 Le canadien Daniel Bellemare a été nommé au poste de Procureur, fonction reprise par son compatriote Norman Farrell depuis le 12 mars 2012.
13 Le BdP a classifié les différents réseaux par couleur (vert, bleu, jaune, rouge) et l’analyse de leur utilisation a permis de distinguer 5 phases dans le complot (du 1er octobre au 10 novembre 2004, du 11 novembre au 20 décembre 2004, du 21 au 13 janvier 2005, du 14 au 7 février, du 8 au 14 février). Les relevés indiquent la date et l’heure de l’appel ainsi que le n° appelé et la durée de la conversation. Les contenus des SMS ont été récupérés.
14 A l’ouverture du procès, le dossier de l’accusation comptait 70 témoins experts et 160 rapports d’expertise. Lors de sa déclaration liminaire, un des avocats de la défense remarqua que les fonds alloués à la construction de la maquette apportée par le Bureau du procureur était supérieurs aux fonds alloués à la défense en matière d’expertise, et s’emporta sur la tournure du dossier à charge : « N’y aura-t-il ici que des experts ? » (16-17 janvier 2014).
15 Audience du 6 mai 2015.
16 OSIEL Mark, Juger les crimes de masse. La mémoire collective et le droit, Le Seuil, 2006, chap. VIII.
17 MERMIER Franck et VARIN Christophe (sous la dir.), Mémoires de guerres au Liban, Sinddbad, 2010.
18 Voir le rapport : « How People talk about the lebanon wars. A study of the perceptions and expectations of residents in greater Beirut”, International center for transitional justice, October 2014.
19 Voir les quelques initiatives, toutes non-judiciaires, de réconciliation décrites dans ZAHAR Aida, Liban, la guerre et la mémoire, Presses universitaires Rennes, 2011.
20 « Comment le Liban peut-il tirer bénéfice des travaux du TSL ? », QR, vidéo du TSL, disponible sur le site du tribunal.
21 DAVIS Mike, Petite histoire de la voiture piégée, La découverte, 2012, p.103. Ainsi l’attentat de Tyr du 11 novembre 1982 contre le quartier général de Tsahal à Tyr qui fit, outre le kamikaze, 141 morts et blessés israéliens, demeure, selon l’auteur, au centre des festivités organisées par le Hezbollah dans le Sud-Liban et à Beyrouth.
22 Date du vote de la résolution 1559 et de la remise de la démission de son gouvernement par Rafic Hariri.
23 La tentative d’assassinat contre Marwan Hamadeh, ministre de l’économie, le 1er octobre 2004 et celle contre le Vice-Premier ministre sortant, Elias El-Murr le 12 juillet 2005. La troisième enquête concerne l’assassinat de l’ancien dirigeant du parti communiste, George Hawi, le 21 juin 2005. Dans sa décision confidentielle du 5 août 2011, le juge Fransen a statué que le Procureur avait présenté des éléments de preuve suffisants laissant présumer que les trois affaires relèvent de la compétence du Tribunal. Les rapports annuels continuent de les mentionner mais aucune avancée notable n’a été rendue publique à ce jour.
24 Depuis sa création, 28 pays et l’UE ont participé à son financement. Le budget annuel, en 2014 et en 2015, tournait autour de 60 000 000 d’Euro. Il compte environ 500 employés (dont plus d’une soixantaine de nationalité libanaise).
Les opinions et propos présentés dans cet article engagent uniquement leur auteur.

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