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Institut d'Études sur le Droit et la Justice dans les sociétés Arabes

Monde ou pays arabe(s) ?

Les appellations sont nombreuses concernant la zone de localisation des pays dits « arabes » : Monde arabe, nation arabe, Communauté des arabes et, si on désigne cette zone du point de vue géopolitique, on parle alors de Moyen Orient, de Proche Orient, de Maghreb, etc. Le Monde Arabe, pourtant souvent mentionné par historiens, géographes, et surtout politiques, ne parait pas le terme le plus approprié.

Le terme de monde X ou Y isole ce dernier du reste du Monde (au sens de planète Terre), et insiste sur ses particularités ne lui permettant pas de faire partie d’un tout.

Les Arabes eux-mêmes n’utilisent que très rarement, voire jamais le terme de « Monde arabe » (en langue arabe, al-ʿĀlamu’l-ʿArabiyy) mais privilégient plutôt celui de « Nation Arabe » (al-Watan l-’Arabi) ou celui de « Communauté Arabe » (al-ʾUmmah al-ʿArabīah) ayant une connotation plus religieuse.

Le terme de « Nation arabe » est susceptible de renvoyer au panarabisme. Cependant, dans la langue arabe classique, les auteurs souhaitant renvoyer au nationalisme Nassérien utilisent davantage le terme d’ « unité arabe » (al-ʾWahdatu al-ʿArabīah).

En langue anglaise, le terme de « Monde » parait plus approprié que dans la langue française pour qualifier une partie du monde. En effet, le terme « World », parmi ses définitions, désigne « une partie spécifique de la Terre »[1] ainsi qu’une « section particulière de la Terre ».

Tandis que dans la langue française, le terme de « monde »[2] désigne en premier lieu l’ensemble de tout ce qui existe, de façon réelle et concrète. Ainsi, l’ensemble des êtres humains vivant sur la Terre représente le monde. Celui-ci qualifie également la nature, ce qui constitue l’environnement des êtres humains. Cette notion renvoie donc à un sens global. Lorsqu’on fait allusion à des espaces plus restreints, la signification aborde un aspect plus social. On va ainsi parler de « monde des arts » pour désigner un milieu, groupe social défini par une caractéristique, un type d’activité.

En se basant sur cet essai définitionnel, il parait difficile de parler, en français, d’un Monde des Arabes, un « Monde Arabe ». Ce dernier parait tout aussi inapproprié et sans fondement concret qu’un hypothétique « Monde Latin » ou un « Monde scandinave ».

Des critères sont nécessaires pour définir ce qu’est le Monde Arabe selon certains théoriciens (I). Néanmoins, il nous faudra étudier les origines de cette notion (II) avant de s’interroger sur l’actualité des termes de Nation arabe et Monde arabe utilisés différemment selon la région du Monde où l’on se place.

I – Un ou des Monde(s) arabe ?

Peu d’auteurs ont tenté de définir ce que serait le Monde Arabe et néanmoins, un certain nombre de critères se font écho chez ceux qui ont essayé d’en tracer les contours. Ainsi, selon Jean-Christophe Victor, dans son édition « Le dessous des cartes » portant sur le Monde Arabe (septembre 2011), celui-ci définit la zone selon quatre critères :

– le critère linguistique : l’arabe comme langue officielle ou majoritaire

– le critère religieux : l’islam comme religion d’Etat ou majoritaire

– le critère géographique : la localisation

– le critère politique : l’appartenance à la Ligue Arabe

D’après ce professeur en géopolitique, qui s’est inspiré de recherches antérieures, le Monde Arabe serait constitué de vingt-trois Etats[3] : Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Lybie, Egypte, Soudan, Djibouti, Somalie, Arabie Saoudite, Yémen, Oman, Emirats Arabes Unis, Qatar, Bahreïn, Koweït, Irak, Syrie, Liban, Jordanie, Palestine (ou Autorité Palestinienne) les Comores et l’Erythrée.

Etudions brièvement les quatre critères cités précédemment : linguistique, religieux, géographique et politique.

  • Critère linguistique

Le critère de la langue comme point commun à ces différents pays arabes parait problématique. Certes la langue arabe est présente dans la Littérature ainsi que dans les médias mais elle diverge dans la vie quotidienne par l’usage de dialectes propres à chacun de ces 23 pays. A titre d’exemple, un yéménite aura beaucoup de difficultés à comprendre un algérien puisque leurs dialectes ne sont pas les mêmes. Ce dernier mêlant des mots berbères, français, espagnols, arabes.

  • Critère religieux

L’islam est certes majoritaire dans les pays cités précédemment mais ne demeure pas la confession unique. Ainsi, des pays comme le Liban ou l’Erythrée se partagent à parts à peu près égales la proportion de musulmans et de chrétiens. Avant la création d’Israël, Juifs, Chrétiens et Musulmans, cohabitaient ensemble dans la région. Après 1948, la cohabitation des trois religions monothéistes existait toujours dans nombre de pays arabes mais dans certains de manière plus conflictuelle.

  • Critère géographique

Jean Paul Bard, professeur de géographie à l’Université Montpellier III, avait réalisé en 1995 une « modélisation du Monde Arabe », tentant ainsi de faire une synthèse des différentes thèses sur la localisation et les frontières de cette zone. Selon lui, l’espace du Monde Arabe couvre 10% de la surface mondiale, s’étend sur 13,5 millions de km² et peuple d’environ 200 millions d’habitants en 1990. Il écrit ainsi que « le Monde Arabe comprend aujourd’hui vingt Etats depuis l’unification des deux Yémen.

Ces 20 Etats sont regroupés par les géographes en espaces régionaux au nombre de cinq :

– Le Grand Maghreb : Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie et Lybie

– La Vallée du Nil : Egypte et Soudan

– Corne de l’Afrique : Djibouti et Somalie

– Péninsule Arabique : Arabie Saoudite, Yémen, Oman et les pays du Golfe qui sont les Emirats Arabes Unis, Qatar, Bahreïn et Koweït

– Croissant Fertile : Irak, Syrie, Liban, Jordanie

A ces vingt pays se rajoutent, selon certains géographes, la Palestine (inclue dans le Croissant fertile), les Comores (compris dans la Corne de l’Afrique) et l’Erythrée (dans la Vallée du Nil), totalisant la zone au nombre de 23 pays.

  • Critère politique

Le critère politique quant à lui, est parfois seul nécessaire pour définir la zone de « Monde Arabe ». Ainsi, sur le site internet de l’Institut du Monde Arabe (IMA) à Paris, il est simplement rappelé dans sa section « présentation » que l’Institut est « le fruit d’un partenariat entre la France et la totalité des pays membres de la Ligue des Etats arabes ». A titre de rappel, la Ligue Arabe comprend vingt-deux membres : les vingt-trois cités précédemment à l’exception de l’Erythrée.

A titre de comparaison, si on utilise ces critères pour définir un hypothétique « Monde Latin », la langue d’origine commune aux pays faisant partie de cette zone serait le latin, la religion serait le christianisme, la localisation l’Europe de l’Ouest et enfin concernant la politique il pourrait s’agir de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe. Pour autant, on ne parle pas de « Monde Latin », isolé du reste de la planète, et une telle approche peut apparaitre simpliste et stéréotypée.

II – Les origines de la notion : “Arab and Eastern World”

Il apparait primordial de rappeler que cette notion de « Monde Arabe », en anglais « Arab world », est fortement liée à celle de Monde Occidental (« Western World ») et Monde Oriental (« Eastern World »). La division de la planète en différentes parties, nommées par certains comme des « mondes », est ancienne dans la langue anglaise.

Le terme d’Occident, en anglais « Western World » – produit de l’histoire culturelle européenne – se développa lors de la période des grandes découvertes entre le XVe et le XVIIe siècle, et la naissance des premiers empires coloniaux.

Selon le contexte et la période donnée, ce terme fait référence à un ensemble de pays différents. Tantôt le Monde occidental fût synonyme de « Monde chrétien », vers les XVII-XVIIIe siècles puis lorsqu’une certaine sécularisation se développa aux XIX-XXe siècles en Europe, le terme d’Occident perdit peu à peu sa connotation religieuse au profit d’un sens plus politique. Lors de la Guerre Froide, l’Occident désignait clairement le « bloc de l’Ouest », camp capitaliste libéral par opposition au « bloc de l’Est », camp soviétique.

Le terme d’Orient, en anglais « Eastern World », fût définit par les grandes puissances en opposition avec le terme d’Occident, et donc désignant un « Monde » non chrétien, et au fil des siècles, renvoya aux pays colonisés par les grandes puissances. Cet Orient fut découpé en plusieurs « Orients » dans le vocabulaire diplomatique : l’Extrême Orient, le Moyen Orient et le Proche-Orient. Et sans doute pouvons-nous ranger cet hypothétique « Monde Arabe » dans le grand tiroir qu’est ce monde Oriental. Dans les médias occidentaux, les journalistes et hommes politiques ont tendance à mentionner indifféremment le « Eastern World » et « Arab World ».

La notion de Tiers-Monde (« Third World »)[4] montre également cette tendance des puissances occidentales à fractionner la planète. Ayant été développée durant la Guerre froide, la formule fût rapidement interprétée et reprise par plusieurs auteurs comme désignant les pays dit « non-alignés », n’appartenant ni au bloc de l’Ouest ni au bloc de l’Est.

Néanmoins, il est primordial de souligner que ces termes d’Orient, de Monde Arabe, d’Occident sont principalement utilisés par les Etats dits du Nord, c’est-à-dire les pays européens et les Etats-Unis. Les pays arabophones quant à eux, mentionnent davantage le terme de nation pour englober les différents pays arabes, et ce dû à l’Histoire de ces pays et plus spécifiquement dans le contexte des indépendances au cours de la deuxième moitié du XXe siècle.

Conclusion – Quelle alternative au Monde et à la nation arabe ?

Dans son article intitulé « Monde arabe ou nation arabe ? », Naji Alloush, intellectuel palestinien, y écrit que le terme de « nation arabe » signifie que la nation est une, par sa géographie, histoire et population et que l’unité arabe est inéluctablement en devenir. En revanche, l’expression « monde arabe » est un terme colonial d’origine britannique, qui, selon l’auteur, consacre le sentiment de la division et de la fragmentation. Il invite donc les écrivains à ne plus utiliser l’expression « Monde Arabe » (al-ʿĀlamu’l-ʿArabiyy) et privilégier celle de « nation arabe » (al-Watan l-’Arabi).

Selon Naji Alloush, l’utilisation du terme « nation arabe » s’est répandue et implantée suite à la Révolution égyptienne du 23 juillet 1952 et l’importante poussée nationaliste qui l’a accompagnée, impulsée par Gamal Abd el Nasser.  Par la suite, ce terme est devenu quasiment officiel dans l’Iraq de Saddam Hussein et dans la Syrie d’Hafez el-Assad.

En conclusion, si on persiste à utiliser le terme de « Monde », alors faudrait-il davantage désigner la langue arabe plutôt qu’une communauté dans son ensemble. Ainsi, comme il est parfois mentionné, dans certains textes, un « monde francophone » ou un « monde anglophone », celui-ci désigne respectivement l’ensemble des populations dont le français ou l’anglais est la langue naturelle, officielle ou d’usage. Etymologiquement, le terme vient du grec phônê, « son, voix, langage ». Le terme « arabophone » – utilisé pour désigner les populations dont l’arabe est la langue naturelle, officielle ou d’usage – permet ainsi d’éloigner les stéréotypes liés à une soi-disant identité commune arabe, une culture et une religion unique.

Le terme de « pays arabes » ou de « sociétés arabes » parait plus approprié que celui de « monde » car il élimine la notion de zone délimitée, fermée sur elle-même à l’écart d’un tout global. De plus, la notion de pays ou de sociétés arabes est utilisée par les pays en question et n’est donc pas un emprunt à l’anglais (comme l’est la notion de Monde arabe, « Arab World ») issu de la colonisation et n’est pas créée et imposée par les grandes puissances.

Enfin, pour rester le plus neutre possible, il apparaît judicieux de parler de pays arabes, dans leur richesse et diversité, aussi bien au niveau linguistique, religieux, géographique et politique.

Auteurs :
Leïla De Casimacker
Amr Soliman
 

[1] Definition de World: 1.C. « a specified part of the Earth. Ex. the Western World », « particular section of the earth », in Oxford advanced learner’s dictionary new edition, University Press, p.1475 (1989).

[2] Sources : dictionnaire Larousse

[3] Le nombre varie généralement entre vingt et vingt-trois pays selon les théoriciens.

[4] L’économiste et démographe Alfred Sauvy serait à l’origine de ce terme. Il mentionne l’expression de « Tiers-Monde » dans une chronique en 1952, soit disant en référence au tiers-état français de l’Ancien Régime.

 


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