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Institut d'Études sur le Droit et la Justice dans les sociétés Arabes

Le code civil égyptien : une belle histoire mais quel avenir ?

La codification civile égyptienne a eu lieu entre les années 1938 et 1948 et est entrée en vigueur le 15 octobre 1949. La mission de codification a été confiée à l’éminent juriste Abdel Razek El-Sanhouri Pacha, lui-même disciple de l’éminent Edouard Lambert qui participa également à cette codification.

Cela explique bien l’inspiration du droit civil égyptien par le modèle français de l’époque. Le Code égyptien fut un instrument novateur entre les mains des juristes de l’époque. En effet, vu par plusieurs juristes comme étant un chef d’œuvre, Sanhouri a su adapter et harmoniser les règles du droit laïc et les principes de la Shari’a islamique.

Le Code civil égyptien, dès sa mise en place et avant son entrée en vigueur (1949), fut une révélation pour un grand nombre de pays arabes qui étaient dans une période dite « de gestation idéologique ». En effet, à partir de l’œuvre de Sanhouri, les législateurs de nombreux pays arabes ont repris les dispositions du Code égyptien. Certains pays ont même eu recours au rédacteur de ce dernier et de son ouvrage en 10 volumes El-Wassit fi al qanun al madani  (le médiateur en droit civil). Ainsi, le Code civil égyptien a servi de modèle à plusieurs Etats arabes, qui en appréciaient tant la méthode d’élaboration que la jurisprudence qui en résulte. Ce rayonnement du code est dû au souci des législateurs des pays arabes de se fonder sur une unité spirituelle qui permet une codification arabe. C’est une codification dite « tant nationale et égyptienne que nationale et arabe ».

Ce rayonnement du Code égyptien et cette influence dans la région, qui peuvent être vus comme l’un des rares succès de l’unité arabe à laquelle croyait fortement Sanhouri, s’est fait de trois manières :

1-      un emprunt direct par plusieurs pays (notamment la Syrie, la Libye et l’Algérie) ;

2-      un rattachement à ce Code civil, par des liens très étroits, de codifications en apparence divergentes. Ainsi, à propos du Code civil irakien, El-Sanhoury affirma : « En élaborant le Code civil irakien, j’étais parfaitement conscient qu’il n’aurait jamais été accompli tel qu’il fut, n’eut été l’achèvement du Code égyptien, le premier devant emprunter au deuxième son classement, l’ordre, la rédaction, les méthodes, pour un complément de thème non établis dans la doctrine islamiste ». A cela, peut s’ajouter la loi sur les transactions civiles des Emirats ;

3-      par sa forme (rédaction et classification), notamment dans le Code civil koweitien.

Quelle que soit la dimension de ce rayonnement du Code civil égyptien, les législations arabes ont tenu à prendre en considération les circonstances économiques et sociales de ces Etats.

Des différences surviennent parfois dans certains articles. Toutefois, ils veillent tous à  refléter la réalité sociale, le droit se fondant sur elle et étant surtout le reflet de la société. Le rayonnement du Code civil se fonde ainsi sur une pensée juridique commune. La langue juridique utilisée dans ce Code est devenue la langue du droit, non pas seulement en Egypte, mais dans la plupart des pays arabes. Sanhoury, par ses activités législatives dans la région, a pu instaurer une pensée juridique harmonisée parmi  les juristes arabes qui ont entrepris de parler dans ce domaine, une même langue juridique.

De ce qui précède, le succès d’une telle œuvre fut particulièrement remarquable à l’époque de son application, notamment en 1937 après les accords de Montreux portant abolition des tribunaux mixtes institués en 1875 en Egypte. Ainsi, durant la période qui va de 1875 à 1937, connue comme celle du « chaos juridique », le Code civil de Sanhouri apparaît comme un acte salutaire.

Mais aujourd’hui en 2013, qu’en est-il de cette œuvre ? Est-ce-que le Code de 1949 est toujours adapté à la société des années 2000 ? Représente-t-il toujours l’instrument novateur qu’il fut il y a une soixantaine d’années ?

Il ne faut pas oublier que les codes civils français et allemand qui constituaient l’inspiration majeure du Code égyptien de 1949 ont beaucoup évolué depuis cette époque, tandis que leur équivalent égyptien a connu très peu de réformes.

Pour conclure, je reprendrais les paroles du professeur Iskandar Ghattas qui, durant la célébration du cinquantenaire du Code civil, avait rappelé les paroles de Montesquieu dans ses Lettres Persanes en y ajoutant un constat contradictoire :

 « Dans les Lettres persanes, Montesquieu nous a enseigné : « il est vrai qu’il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare et, lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante ».

L’enseignement de ce grand penseur s’applique-t-il à notre Code civil dont nous fêtons le cinquantenaire ? Il est indéniable que le Code civil égyptien a admirablement traversé le temps. Toutefois, notre époque est souvent qualifiée d’époque de transition et de révolution planétaire. A l’aube du troisième millénaire, il nous semble que cette évolution devrait nous diriger vers la recherche d’un esprit nouveau des lois civiles… »

Je me souhaiterai également rajouter que, depuis le constat d’Iskandar Ghattas en 1998, qui a ouvert le débat autour de la réforme du Code civil, le droit a beaucoup évolué, les valeurs de la justice se développent jour après jour au point qu’elles deviennent universelles.

Peut-être que les paroles de Montesquieu étaient bien adaptées à son époque, mais dans la nôtre, et dans les contextes postrévolutionnaires que traverse la région, quand une loi est inadaptée, il ne faut surtout pas hésiter à y toucher d’une main stable et courageuse afin de la réadapter au besoin sociétal d’aujourd’hui.

Faire appel à une réforme du code civil égyptien aujourd’hui ne nous paraît ni une originalité, ni une mission impossible mais bien, une nécessité…

Amr Soliman


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